Certains institutions privées et publiques, qu’elles l’expriment clairement ou non, se donnent pour raison d’être d’augmenter le degré de paix dans la société. Ainsi en va-t-il de diverses organisations non-gouvernementales mais aussi d’institutions publiques telles que la Justice.

La Justice est censée apporter une plus grande paix dans les rapports sociaux en proposant une réponse tierce à des conflits privés (justice civile) et à des atteintes aux normes de fonctionnement social considérées comme importantes (justice pénale).

Je pense qu’il est malaisé de contribuer significativement à cet objectif si les membres de l’institution judiciaire n’ont pas atteint un certain degré de paix intérieure. A défaut, on risque de projeter inconsciemment son in-quiétude sur la manière dont la justice est rendue. Or mon expérience de l’institution tend plutôt à me convaincre que cette paix fait généralement défaut.

De nombreux comportements et discours démontrent au contraire une prégnance de sentiments tels que l’anxiété, la rancoeur, le ressentiment, l’insatisfaction, la frustration, la jalousie, l’inconfort, etc… Qui peut prétendre être pleinement à l’écoute des parties, des avocats, des victimes, des prévenus, de ses partenaires, s’il est traversé par de tels sentiments et s’il ne peut consciemment s’en distancier? 

Petit exercice. Si vous êtes magistrat, cochez la phrase que vous n’avez jamais dite (ou seulement pensée…); si vous connaissez un magistrat, cochez celle que vous n’avez jamais entendue de sa bouche:  

  • « J’ai plus de travail que tel collègue, c’est scandaleux »
  • « Je n’ai pas eu cette promotion alors que je la méritais, c’est injuste »
  • « Mon chef de corps est vraiment à côté de la plaque, vivement que son mandat se termine »
  • « Tel service (social, policier,…) n’en fait qu’à sa tête et ne suit pas mes directives, puis tente de me faire porter le chapeau »
  • « On nous en demande toujours plus avec moins »
  • « Les avocats font tout pour nous compliquer le travail et ralentir les procédures »
  • « L’état de la justice est désastreux par la faute du pouvoir politique »
  • « Plus que dix ans avant la retraite »
  • « Les gens ne comprennent vraiment rien à la Justice »
  • « Les gens font des procès pour un oui ou pour un non »
  • « Je me rends compte que mes jugements, ce sont des emplâtres sur des jambes de bois et qu’ils ne résolvent pas grand chose »

Ces phrases disent beaucoup de l’état d’esprit et même de l’état émotionnel dans lequel se trouvent celles et ceux qui les prononcent et traduisent certainement une forme de difficulté interne non résolue, tant sur le plan individuel que collectif. Si elles illustrent un état ponctuel et passager, cela n’est guère problématique. Si au contraire, elles occupent une place importante dans la vie d’une personne, elles risquent fort d’influer sur sa manière de contribuer à l’oeuvre de la Justice.

Un regard lucide sur sa propre expérience est nécessaire pour aboutir à un certain degré de paix intérieure. Cette paix intérieure, que l’on peut également appeler sérénité, est à la portée de tous. Elle demande cependant certains efforts visant à une prise de conscience de ses propres conflits intérieurs et de ses parts d’ombre.

Mes expériences et mes formations (en coaching notamment) m’amènent à penser que l’aide d’un tiers améliore et facilite le cheminement dans cette direction. Un investissement utile en matière de justice, avant tout autre, consisterait à mes yeux à offrir un coaching individuel et d’équipe à tous les magistrats qui en formuleraient la demande. Il devrait s’agir d’un coaching portant notamment sur leurs propres émotions (peur, tristesse, colère, joie, …), sur leurs projections sur l’idée de « Justice » et sur leur positionnement dans l’institution.

Certes, des processus efficaces, des moyens performants, un meilleur contrôle interne, sont utiles, pour autant qu’ils soient consacrés à ce qui importe réellement. 

Mais davantage de paix intérieure ou de sérénité dans le chef des acteurs de la Justice contribuerait certainement à un plus grand degré et de manière plus durable à la pacification des rapports sociaux. Cela a du sens si l’on considère que telle est bien la finalité de la Justice.

 

Damien Dillenbourg

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