Le spectacle de la gestion de la pandémie Covid19 ressemble de plus en plus à un numéro d’équilibriste dans un cirque de seconde zone.

L’exercice est certes difficile de gouverner le navire dans les eaux troublées par le virus. Mais n’est-ce pas dans l’épreuve que l’on devrait pouvoir se reposer sur les personnes qui entendent exercer le pouvoir?

D’où les questions que nous en sommes en droit de nous poser quant à la légitimité et même la légalité de certaines mesures prises par les autorités. Je n’entends pas ici me livrer à un exercice juridique de haute voltige ni à un examen exhaustif de ces questions. Il n’entre pas davantage dans mes intentions d’appeler à la rébellion ou à la désobéissance civile. Enfin, il ne s’agit nullement ici de remettre en cause la nécessité de prendre des mesures face à une maladie qui, si elle tue proportionnellement peu, peut provoquer des souffrances très pénibles, voire de lourdes séquelles. Toutefois, le spectacle qui nous est donné autorise les citoyens à se poser des questions et à y obtenir des réponses transparentes. 

Derniers épisodes en date : le Ministre (belge) de la Santé qui admet que certaines mesures sont purement politiques et n’ont pas de fondement scientifique ; un bourgmestre qui explique qu’il ne respectera pas les règles en vigueur lors de la fête de Noël (pour effectuer une courbe rentrante par la suite, les instances de son parti étant entretemps passées par là) ; des avis divers et variés émanant « d’experts » sur la pertinence des mesures prises et leur efficacité. Sans même à ce stade aborder la question des vaccins qui mériterait également certains éclaircissements…

Le contexte légal est donc le suivant. Les règles de confinement portent une atteinte grave à un certain nombre de libertés fondamentales garanties tant par notre Constitution que par des instruments internationaux : liberté de circuler, de se réunir et de manifester ; liberté de commercer ; droit à mener librement sa vie familiale.

Nous savons qu’il n’existe pas de liberté absolue et que chacun des droits évoqués est susceptible de connaître des limites. Toutefois, ces dernières sont strictement encadrées, même en temps de « crise ». Les normes pertinentes admettent une intrusion de l’Etat dans une mesure strictement nécessaire dans une société démocratique.

Pour être légale, une restriction de ces libertés doit donc être nécessaire, proportionnée et utile.

L’évaluation de la nécessité des mesures choisies s’effectue par comparaison à d’autres mesures possibles, moins attentatoires aux libertés. En effet, les Etats sont astreints à une obligation d’agir positivement dans le but de garantir l’effectivité des libertés fondamentales. Les autorités sont soumises à l’obligation de démontrer que ces mesures sont les seules possibles pour enrayer la propagation de l’épidémie.

Elles doivent aussi démontrer qu’elles ne dépassent pas la stricte mesure dictée par les événements : utiliser un bazooka pour tuer une mouche est certes efficace mais sans doute disproportionné. 

Il est encore requis qu’un lien sinon avéré au moins probable existe entre la mesure prise et l’effet attendu.

Enfin, les autorités doivent encore répondre de l’interdiction qui leur est faite de discriminer entre les citoyens: pourquoi telle activité est permise alors qu’une autre ne l’est pas? Ici également, elles doivent pouvoir justifier d’un critère objectif, pertinent et proportionné pour justifier des différences de traitement.

L’Etat, au sens large, ceci incluant les entités fédérées, est-il en mesure de justifier sous cet angle légalement les mesures prises ces derniers mois ? Sans pouvoir épuiser le débat, je relève quatre éléments de réflexion.

Premièrement, nous voyons que certaines décisions, dont la fermeture des commerces dits « non-essentiels », ne reposaient pas sur une nécessité sanitaire avérée, de l’aveu même du Ministre de le Santé. On ne peut balayer cette affirmation d’un revers de la main, à moins de considérer que sa parole est discréditée, auquel cas il faudrait en tirer toutes les conséquences…

Deuxièmement, les autorités devraient être en mesure de démontrer que les mesures prises ont un effet réel sur la propagation du virus. N’étant pas plus expert que nos Ministres, je lis ici et là qu’aucune étude scientifique n’a démontré une telle corrélation. Qu’en est-il au juste ?

Troisièmement, la logique des critères de nécessité et de proportionnalité impose que les autorités démontrent que les effets délétères des mesures prises ne sont pas plus graves que les conséquences de l’épidémie. En d’autres termes, que le remède n’est pas pire que le mal. N’assiste-t-on pas à une forme d’aveuglement qui empêche de considérer les douleurs sociales, économiques et psychologiques que causent les mesures de confinement ?

Quatrièmement, dans le contexte d’une épidémie, la justification des mesures prises repose très largement, pour ne pas dire entièrement, sur des bases médicales et scientifiques. Les décideurs politiques ne possédant que peu de compétences médicales, c’est naturellement vers des « experts » qu’ils se tournent.

On peut s’interroger sur la légitimité du processus mis en place pour recueillir une expertise scientifique. Sur un plan légal, il ne suffit pas pour l’Etat de se référer à des avis d’experts pour se dégager de toute responsabilité. Les autorités ne peuvent simplement mettre sur pied un comité Théodule et suivre ses recommandations. Comment ces comités scientifiques ont-ils été constitués ? Qui en a choisi les membres ? Sur base de quels critères ? Comment est-il possible, sur un sujet aussi volatile et méconnu que le virus du Covid19, qu’une belle unanimité scientifique soit aussi vite obtenue ? Les experts « dissidents », comme ont pu l’être Gallilée ou Pasteur à leur époque, ont-ils droit de cité, au sein des instances officielles ou sont-ils confinés aux réseaux sociaux ?

D’autres « experts », qui n’ont pas la chance d’être estampillés « officiels », semblent affirmer qu’il existait et qu’il existe encore d’autres voies que celles choisies par nos gouvernants. Ainsi, certains pays ont appliqué avec un certain succès les principes de « Tester-Isoler-Soigner. ». Comment l’Etat justifie-t-il son choix de ne pas s’orienter dans cette voie ? Pourquoi ne pas avoir profité du début de la nouvelle vague et du confinement ordonné pour mener une campagne massive de testing et confiner les seuls cas positifs ? Au contraire, au moment de la reprise de l’épidémie, les infrastructures dédiées aux tests étaient totalement débordées au point que les délais d’obtention des résultats étaient incroyablement longs et qu’en conséquence il fut décidé de restreindre les tests aux seules personnes symptomatiques ! Ce choix relève de la responsabilité de l’Etat et révèle une attitude passive plutôt que volontariste. Il tend à démontrer un manquement à son obligation de garantir aux citoyens la jouissance de leurs libertés fondamentales.

Au sujet des relations houleuses ou incestueuses entre sciences et politiques, je ne peux que m’en référer au dernier éditorial du British Medical Journal intitulé  « Covid-19: politicisation, “corruption,” and suppression of science »  (https://www.bmj.com/content/371/bmj.m4425).  L’auteur y rappelle notamment que « Globally, people, policies, and procurement are being corrupted by political and commercial agendas »…

Dans ce contexte, la légalité des mesures de confinement et, plus encore, celle des sanctions administratives et pénales qui en découlent, doit être sérieusement questionnée, le cas échéant devant les tribunaux.

Ne nous berçons pas d’illusion, les magistrats, comme les politiques, et chacun d’entre nous, peuvent éprouver de la peur face à l’épidémie. Il est aisé, sur le plan du droit formel, d’élaborer un jugement qui valide les décisions des autorités et il est évident que mon de point de vue, comme toute opinion, est discutable. Néanmoins, conscients que la peur est mauvaise conseillère, certains magistrats auront peut-être l’audace de constater que les justifications données aux mesures inédites imposées par les autorités sont insuffisantes aux yeux du droit. Si celui-ci peut servir à quelque chose, c’est bien à nous protéger contre l’arbitraire des autorités. 

Plutôt que de dépenser tant d’énergie à nous infantiliser tout en nous rendant responsables de la propagation de la maladie, nos gouvernants seraient sans doute mieux avisés d’adopter une posture à la fois plus modeste et transparente. Je paraphrase ici également l’éditorial du BMJ cité plus haut: une fois écartés les éventuels conflits d’intérêts, il importe de pratiquer la transparence totale des systèmes et processus de décision et de clairement déterminer qui est responsable de quoi.

Et vous, comment fêterez-vous Noël ?

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